Oeil pour oeil (+ elisa)

Cela faisait quelques semaines à peine que Miss Carter m'avait convoquée dans son bureau après le coup du dictaphone, et je ne réalisais toujours pas la chance que j'avais eue d'être promue sa secrétaire personnelle. Moi. La petite souris toute jeune. Avoir le droit, et le privilège de travailler avec la grande Miss Carter, celle qui a tellement fait au cours de la guerre. D'abord en déchiffrant les codes ennemis, puis avec le SSR, et c'est elle qui a choisi Steve Rogers pour devenir le sujet d'expérience du projet Super Soldat. Et j'ai été tellement triste quand j'ai appris la disparition de Captain... tout le monde ici savait à quel point ils tenaient l'un à l'autre... ça me rappelait un peu Romeo et Juliette, en encore plus dramatique...

Je pense à tout ça alors que je classe les dossiers, comme tous les matins, et je fredonne doucement les airs qui passent à la radio. Tous les agents sont en mission ou en réunion, alors quand ça arrive, on prend l'habitude avec les filles de s'allumer un petit poste de radio à piles. C'est plus agréable de travailler comme ça, et puis en plus on gêne personne! Je vais ensuite préparer le café. Eh oui c'est à la dernière engagée de le faire jusqu'à ce qu'une nouvelle arrive, et comme ce n'est pas prévu d'embaucher...c'est moi qui m'y colle. Je lutte avec cette grosse machine, réfléchissant déjà à comment l'améliorer pour qu'elle fonctionne mieux et plus vite, et fais gentiment ma tournée. Je retourne ensuite à ma place, m'occupant du courrier de Miss Carter que je classe, et en voyant les autres papoter tranquillement, je sors mon livre et m'accorde une petite pause. Je sors le lourd volume de mécanique des fluides de mon sac et le pose sur le bureau, le cachant à moitié sous un dossier ouvert pour qu'on ne soupçonne rien, au cas où. Et plongée dans ma lecture, j'entends à peine le bruit d'une canne qui martèle régulièrement le sol des bureaux. Je relève la tête et remarque monsieur Mornet, un lord anglais qui est venu travailler chez nous d'après ce que m'a dit Peggy. Quelqu'un d'important. Je relève la tête, et remarque qu'il va jusqu'au bureau de miss Carter, avant de faire demi-tour, pile au moment où j'allais me lever pour venir à sa rencontre. Mais il rebrousse chemin, et n'a donc pas l'air d'avoir besoin de moi. Je baisse à nouveau le nez sur mon bureau, alors qu'il s'éloigne, et sursaute en entendant une voix.

Je...euh je... oui c'est bien moi. Je... miss Carter est absente alors je...il y a quelque chose que je pourrais faire pour vous?

Comment est-ce qu'il connaît mon nom? Mon vrai nom, pas juste mon prénom comme les autres garçons du bureau? Je me lève timidement après avoir reculé ma chaise et deviens pâle en voyant qu'il a repéré le livre que j'étais en train de lire. Je me mords la lèvre avant de tenter de m'expliquer.

C'est... ces choses là m'intéressent et je... je voulais juste faire...une pause. J'allais me remettre à travailler je vous assure!

Je me mets à rougir cette fois, baissant les yeux et jouant nerveusement avec le tissu de ma jupe.

Mon dieu non... quelques jours à peine que j'ai eu cette promotion et voilà que je fais déjà une gaffe. Quelle idée de sortir un livre, comme ça au travail! Pourtant en voyant les fille rires et feuilleter leurs magazines je pensais que ça ne serait pas grave de m'accorder une dizaine de minutes de lecture, surtout que le travail a bien avancé et qu'il ne reste plus grand chose à faire. Comment je vais pouvoir annoncer à papa que je me suis fait renvoyer d'un aussi bon poste que celui-ci? Comment est-ce que je pourrais oser lui dire que j'ai échoué et voir la déception dans ses yeux... Je me mords la lèvre, toujours plantée près de lui, les yeux baissés et les mains triturant ma jupe bien sage, comme il convient à une bonne secrétaire. J'ai tout fichu par terre... Les secondes passent, longues, aussi longues qu'un siècle ou qu'une éternité quand je l'entends enfin parler. Et au lieu qu'il me hurle dessus, qu'il me menace ou me dise simplement de rassembler mes affaires, voilà qu'il conclut simplement qu'en effet, je me remettrai au travail quand ma ''pause'' sera terminée. Je hausse un sourcil, et relève lentement la tête pour croiser enfin son regard, les pommettes rouges.

B...bien sûr monsieur Mornet... C'était juste pour... pour prendre une pause mais rassurez-vous je... tout sera terminé avant midi...

Ma voix est faible et mon coeur tambourine dans ma poitrine alors que je sens son regard se poser d'abord sur moi, puis sur mes collègues. Je n'ose pas bouger, c'est tout juste si j'ose respirer. Son regard se pose à nouveau sur moi et je me tiens droite comme jamais, presque au garde-à-vous. Et j'ai l'impression de mal entendre les mots qui sortent de sa bouche. Il...me demande si j'aime mon travail? Je déglutis, et prends une seconde avant de répondre.

Je... oui. Oui bien sûr... b...beaucoup même. Miss Carter est vraiment une...une excellente patronne et...et les collègues sont toutes très gentilles...

Bon je ne parlerai pas d'Henrietta qui critique tout et tout le monde à longueur de temps ni Janice qui a un rire horrible. Je penche un peu la tête sur le côté, ne comprenant toujours pas où il veut en venir. En quoi ça l'intéresse, lui, un envoyé des services secrets britanniques, qui s'occupe de choses bien plus importantes que du bien être de la dernière petite secrétaire. Alors je suis un peu perdue. J'hésite mais ma curiosité est plus forte que tout.

Mais je...monsieur Mornet... Pourquoi vous me posez ces questions? Je veux dire... pourquoi est-ce que c'est important pour vous?

Je crois que j'aurais même préféré qu'il hurle, au moins j'aurais su à quoi m'attendre...

Je suis terrorisée, plantée là comme un lapin dans les phares d'une voiture. Pourquoi il ne hurle pas? S'il est en colère, je préfèrerais qu'il me passe un bon savon, et qu'on passe à autre chose. S'il n'était pas en colère pourquoi est-ce qu'il était encore là? Décidément je ne comprenais vraiment pas ce gentleman anglais... mais est-ce que c'était ça qu'on appelait le "flegme'' britannique? Le fait de ne jamais montrer qu'on est hors de soi? Sans doute... si c'est le cas on dirait que j'en ai une belle démonstration maintenant. Du coup je tente de répondre comme je peux, ne m'attendant pas à ce genre de questions étant donné les réflexions qu'il m'a faites un peu plus tôt. Vraiment... je suis perdue, alors j'essaie au moins d'être honnête. Peut-être que ça m'aidera un tant soit peu? Je croise vraiment les doigts pour en tout cas. Je termine donc de bredouiller ma réponse, avant qu'il ne réponde d'un ton sec qu'il n'en a, en gros, rien à faire de ce que je viens de lui dire.

Mon regard se pose sur lui, surprise. Je suis presque vexée, mais surtout, perplexe. Pourquoi est-ce qu'il me pose une question dont il se fiche de la réponse? C'est stupide. Et puis qu'est-ce qu'il gagne à faire ça? Rien! Pourtant loin de moi l'idée de lui faire une remarque à haute voix. Il est trop bien placé pour oser le corriger ou le contredire. Je ne suis qu'une petite secrétaire, et la dernière arrivée qui plus est. Alors quoi? La réponse vient vite : miss Carter lui a confié une mission, et je hausse un sourcil à la fin de sa phrase. Il peut recruter qui il veut. Oui c'est très bien. J'ai presque envie de lui dire que je suis contente pour lui avant de comprendre. Enfin d'espérer comprendre. Est-ce qu'il... non. Non c'est pas possible. Ca serait trop beau qu'il...enfin que...enfin que je...enfin que...moi...qu'il me choisisse moi! Pourtant c'est le cas quand il me dit de ramasser mes affaires et de le suivre.

Vous... vous entendez quoi par...mes affaires monsieur Mornet?

A la hâte je prends mon livre, mon sac et mon manteau, sous le regard surpris mais aussi plutôt bienveillant des autres filles, qui me suivent des yeux alors que je trottine à sa suite. Il marche vite l'animal!

Je...oui monsieur Mornet. Je...je suis là. Je... j'arrive!

Bon sang mon coeur s'emballe en l'entendant parler d'une ''mission de terrain''. Oh mon dieu, ça y est! Je vais aller sur le terrain! Je vais pouvoir goûter au danger, et peut-être vivre une aventure aussi extraordinaire que celles que vit miss Carter tous les jours! Est-ce que je pourrais tirer au pistolet? Comme dans les films? Ca serait merveilleux! Les yeux pleins d'étoiles je le suis donc, alors qu'il martèle le couloir de sa canne, avec la régularité d'un pendule d'horloge. Au bout de quelques pas j'ose néanmoins demander d'une petite voix.

Et de... de quelle mission s'agit-il? Enfin est-ce que c'est top secret?

Je suis tellement impatiente. Mais je ne peux pas en parler à papa même si j'en meurs d'envie. Il mourrait d'inquiétude, et commencerait son discours du ''Une jeune fille comme il faut" qui a le don de me désespérer... Tant pis... ça sera dur, mais je garderai ça pour moi.

Un million de questions se bousculent dans mon esprit alors que monsieur Mornet me demande de le suivre, dont celle de savoir pourquoi il veut que j'emmène mon livre de physique avec moi. Où allons nous? Pourquoi faire? Avec qui? Quelle sera la mission? Un million de scénarios se bousculent déjà dans mon esprit alors que je le suis en trottinant, tenant tant bien que mal toutes mes affaires rassemblées à la hâte contre moi, mon sac, mon manteau, mon livre dans les bras alors qu'il va bien plus vite que moi avec ses immenses jambes. La cabine de l'ascenseur s'ouvre alors que je rassemble tout mon courage pour poser les premières questions, et je manque de lui rentrer dedans tant il s'arrête brutalement et sans prévenir, se tournant rapidement vers moi. Encore une fois je me fige, me contentant de lever lentement les yeux vers lui et recule précautionneusement d'un pas. Il reste silencieux, son regard restant fixé sur moi comme s'il me sondait jusqu'aux tréfonds de moi-même, encore mieux qu'un rayon X, et c'est seulement quand les portes se sont refermées, nous laissant enfin seuls à seuls qu'il daigne ouvrir la bouche. Sa réponse me fait hocher rapidement la tête, et je me dis que je dois ressembler à une gamine à qui on fait promettre de se taire avant de lui révéler où est la fée des dents ou le Père Noël...

Je... oui parfaitement monsieur Mornet. Je ne dirai promis!

Evidemment que je ne dirai rien! Hors de question de rater la première vraie mission qu'on me confie! Je veux tous les impressionner et leur monter que comme Miss Carter, on peut me faire confiance, et que ce n'est pas parce que je suis une fille que je ne peux arriver à rien, bien au contraire! A nouveau il laisse filer quelques secondes avant de reprendre enfin la parole. On peut dire qu'il a le don de créer du suspense et de la tension... mais le fait qu'il me dise que j'en saurai plus bientôt me rassure.

Bien monsieur Mornet...

Je profite de la descente pour mettre un peu d'ordre dans mes affaires et libérer ainsi mes mains. Mon livre glisse dans mon sac, j'enfile rapidement mon manteau et quand les portes se rouvrent sur le hall où règne comme toujours une agitation digne d'un grand magasin un jour de soldes. Je le suis, restant sagement près de lui pour traverser cette cohue, un peu comme si j'avais peur de le perdre, que nos chemins soient séparés et que je sois entraînée loin de lui et rater ainsi la chance de ma vie. Je trotte tout près, mais pas trop quand même histoire de ne pas lui donner une mauvaise image de moi et de ne pas faire jaser les autres. Pourtant on nous regarde à peine, chacun étant bien trop pris pour s'intéressant à ceux de passage, même s'ils étaient aussi importants que monsieur Mornet. D'ailleurs je me demande si on dira quelque chose du fait de m'avoir vue partir avec lui hors du bâtiment...

On sort, et je cligne les yeux quelques secondes une fois dehors, le temps de m'habituer au changement de luminosité, et c'est seulement là que je remarque une immense berline qui attend sagement.Sûr de lui mon "patron'' temporaire s'avance directement vers elle, et récupère un dossier des mains de celui qui semble être le chauffeur. Me sentant idiote, je reste simplement plantée près d'eux à les observer, sans oser dire quoi que ce soit. Ca serait mal venu de me mêler de leurs affaires. Mais Mornet ne perd pas de temps et s'installe tout de suite sur la banquette arrière, et je me retiens de rougir en entendant la phrase qu'il dit en parlant de moi. Elle est avec moi... C'est idiot et stupide mais... en l'entendant dire ça je me sens tellement importante... comme si j'avais vraiment un rôle à jouer et que ma présence était essentielle. Ou au moins utile. Je viens timidement le rejoindre, sursautant comme si on 'mavait piquée à sa remarque.

Je... oui bien sûr mon...

Je me laisse retomber sur le cuir et hésite avant de demander, sursautant à nouveau en entendant la portière claquer sur moi.

Un...un avion? Monsieur Mornet c'est bien ce que vous avez dit? Mais je... nous partons loin? Je... je suis désolée mais je vis encore chez moi et mon père va devenir fou si je ne rentre pas. Il pense que je travaille...pour la compagnie du téléphone et pas...pour le SHIELD... Je... est-ce qu'on pourrait...le prévenir?