oh dear, i know you wanna dance (+ellis, ruby)

Ivresse incandescente des corps dansants, ivresse exaltante des reflets d'argent, ivresse foudroyante de l'homme aimant. Ce soir-là, sous la lumière trop vive des dizaines de projecteurs éclairant de leur éclat blafard une piste de danse surpeuplée où s'enchaînaient valses et tangos, où l'homme le plus raffiné se laissait aller au jeu de la séduction acharnée, ce soir-là, j'étais atteint de cette ivresse palpitante. Et mon coeur battait, le champagne montait, les murs tournaient alors que mon regard déshabillait cette jeune violoniste qui, de son seul instrument, faisait danser au coeur de la nuit parisienne l'élite de la population américaine expatriée dans un pays étranger. La grâce de cette demoiselle plongée dans la transe que seule peut provoquer la musique jouée par soi-même m'emporte vers des horizons qui, pour l'homme volage que je suis, signent l'arrivée d'une nouvelle nuit. Fasciné par la beauté presque sauvage qui se dégage de son corps en mouvement éternel, accordé à la musique qu'elle joue, je m'approche doucement, veillant à ne pas l'effrayer. J'attrape au cours de ma route vers l'objet de ma fascination une coupe de champagne, ou plutôt deux, et m'avance vers celle avec qui j'ai décidé de terminer ma nuit. Les bulles pétillent, accompagnant magnifiquement la musique qui tombe de son violon, et lorsqu'enfin elle s'arrête, presque essoufflée, je me glisse auprès d'elle et lui tends dans un sourire que je veux charmeur l'une des coupes de bulles que j'ai dans les mains.


De sa beauté transcendante, de l'envie que je ressens de la serrer contre moi et de lui faire voir toutes les étoiles du ciel de Paris, je ne dis rien, pas encore. J'ai appris que les jeunes demoiselles aussi talentueuses qu'elle se réservaient pour des hommes raffinés, et que seule une longue soirée d'échanges entre la proie et le chasseur pouvait couronner de succès l'entreprise de ce dernier. Alors je me contente de lui sourire, un peu en coin, un peu mystérieux, un peu charmeur, puis bois une gorgée de bulles qui enchantent un peu plus mon ivresse déjà dévorante.

Un léger sourire sur ses lèvres et son visage s'éclaire d'un rayon de lune. Une lumière légère, mystérieuse, timide aussi sûrement, pareille à celle qui tombe de l'astre de nuit et éclaire doucement les amants enlacés sous le ciel molletonné d'un lit à baldaquin où je me vois bien emmener cette douce créature... Et à mon tour d'étirer mes lèvres un peu plus, dans un sourire qui perd de son mystère mais gagne en assurance et en ravissement. La charmante demoiselle au violon envoûtant m'a reconnu, moi qui ne suis ni un diplomate, ni un chef d'état, ni un de ces politiciens peu scrupuleux dont cette soirée regorge. Alors je lui réponds dans un murmure qui se veut caressant, comme une brise légère un soir d'été trop chaud :


Je bois à mon tour une gorgée de champagne, laissant les bulles me réveiller un peu lorsqu'elles éclatent sur mon palais déjà trop gorgé d'alcool. Ces soirées s'enchaînent et se déchaînent pour que l'ennui des diplomates soit trompé durant quelques heures chaque jour, et si ce n'était par politesse envers les politiciens et l'intérêt qu'ils représentaient pour moi, j'aurais filé il y a longtemps pour retourner en Amérique, où mon atelier m'attend en se couvrant de poussière. Mais je suis prisonnier d'un engagement d'un mois ici, et si l'ennui des autres invités présents à la soirée semble s'étioler en même temps que la réserve de champagne, ce n'est pas mon cas. La seule qui pourrait redonner de l'éclat à la lumière ternie des projecteurs est cette jeune violoniste au talent certain.


Et, d'un geste gracieux, rendu parfait grâce à des années de pratique, je lui tends ma main, la regardant comme la huitième merveille du monde, un sourire charmeur maîtrisé depuis de nombreuses années sur les lèvres.

La radieuse créature n'hésite pas avant d'accepter ma proposition, et je tente de ne pas la déshabiller trop ostensiblement du regard alors que je l'observe ranger son instrument presque magique dans son étui, avec tout le soin que le musicien doit à son outil d'enchantement. Puis elle glisse sa petite main dans la mienne, et je maîtrise le sourire que j'affiche, pour ne pas qu'il paraisse trop satisfait, mais juste ravi de me voir accorder cette danse par une musicienne de talent. Je l'entraîne sur la piste, la fait tournoyer, avant de poser doucement ma main dans le creux de ses reins et de l'approcher de moi. J'essaye de plonger mes yeux dans les siens malgré son regard fuyant, qui me fait sourire par la timidité qui se dégage d'elle. Alors je la fais valser, tourner, danser, sans me lasser d'observer encore ce visage que je veux plus tard voir perdu dans les affres du plaisir, mon nom tombant de ses lèvres, qui doivent avoir un goût délicieux. J'ai presque du mal à reprendre pied dans la réalité à sa question, et je souris doucement, avant de lui répondre d'une voix que je maîtrise afin de ne pas trahir tout de suite mes intentions envers elle :


Lorsque la musique change et devient un tango, je la rapproche encore plus de moi, relevant mon bras pour la guider avec plus de facilité, et nous fait tournoyer au milieu des autres danseurs, qui deviennent des figures floues auxquelles je n'accorde de l'intérêt que pour éviter de les piétiner, tout en dévorant ma délicieuse cavalière du regard.

Son corps plaqué contre le mien, ses hanches bougeant en rythme avec la musique, la sensualité presque animale qui se dégage de sa danse alors qu'elle se laisse par moi guider sur la piste bondée, tout cela me rend fiévreux et impatient que la soirée officielle se termine pour qu'enfin je puisse glisser dans mon lit cette délicieuse créature. Et lorsque la musique ralentit enfin quelque peu, lorsque le tango se change en valse, et que de ses lèvres tombent des mots porteurs d'un ennui certain, un sourire en coin se dessine lentement sur mon visage.

« Je ne peux que vous comprendre, ma chère. Après le frisson de l'aventure, le risque de perdre ma vie à chaque instant lors de la guerre, ces soirées mondaines n'ont plus l'éclat ou l'intérêt qu'elles pouvaient avoir pour moi avant... »

Profitant du fait qu'elle jette des coups d'oeil partout dans la salle, je la dévore du regard, imaginant presque tendrement mes lèvres courir sur son cou gracile, sur ses joues rouges d'avoir dansé, sur ses lèvres trop parfaites pour ne pas accepter mes baisers. Et lorsqu'elle propose enfin de nous retirer de la piste pour aller discuter plus en paix dans un coin un peu plus tranquille, je hoche la tête avec un sourire. Rien ne me siérait plus que de partager un moment seul avec elle, avant de l'emmener voir les étoiles du ciel et celles, plus intimes, d'une étreinte passionnée.

« Je vous suis, très chère. »

Je prends la coupe qu'elle me tend sans cesser de sourire, et la lève devant mes yeux pour lui porter un toast, à elle, l'irréelle créature descendue des cieux qui distille autour d'elle un parfum envoûtant et une musique grisante. Nous nous installons sur une banquette étroite, disposée devant l'une des innombrables fenêtres de la salle de bal, et je bois encore un peu. Me rappelant soudain de ses propos, je demande d'une voix taquine :

« Voulez-vous que j'aille chercher quelque chose à manger avant que vous ne m'interrogiez ? »

Si elle espère me tirer des informations confidentielles, elle va avoir besoin d'énergie ! Peggy m'a formé pour essayer de m'aider à me contrôler et à ne pas divulguer des données compromettantes, même si elles me sont demandées par une jolie demoiselle comme celle qui se trouve à mes côtés.

Un sourire espiègle s'étire doucement sur mes lèvres lorsqu'elle se défend de vouloir me faire passer un interrogatoire, mais je hoche la tête et me lève pour aller au buffet chercher de quoi sustenter ma charmante cavalière. Plus que pour me questionner, c'est pour la suite qu'elle aura besoin d'énergie... Je m'approche des longues tables recouvertes de nappes blanches, et me saisis d'une assiette dans laquelle je viens poser un joyeux mélange de hors d'oeuvres et de pâtisseries de toutes sortes : des canapés au foie gras, des toast au saumon, de minuscules cakes aux olives côtoient des mille-feuilles, des macarons et des forêts noires miniatures. Avant de rejoindre celle pour qui j'ai d'autres projets qu'une nuit tranquille lorsque nous quitterons cette soirée ennuyeuse, je prends dans ma main deux nouvelles coupes de champagne -la princesse que je veux séduire a l'air d'apprécier cette boisson, et je souhaite à tout prix qu'elle se sente bien en ma compagnie... Armé de mon assiette et de mes verres, je retourne auprès d'elle d'une démarche presque triomphante.

« Je ne savais pas ce que vous aimiez, très chère, alors j'ai pris un peu de tout. Si vous souhaitez d'autres choses, je me ferai un plaisir de retourner au buffet ! »

Je lui tends avec un sourire charmeur l'une des coupes de champagne que je tiens dans la main, avant de m'installer à côté d'elle sur la banquette. D'un geste souple, je lui propose l'assiette afin qu'elle choisisse quelque chose à manger, puis la pose sur mes genoux et m'empare d'un canapé de foie gras.

« Si vous avez des questions, je vous écoute, mademoiselle... Mademoiselle ? »

Je réalise, mortifié, que je ne connais pas encore le prénom de l'ange qui m'accompagne, et que c'est un tort que je me dois de réparer au plus vite.